PONT SALOMON EN 1907

 

Composition française de Monica Wasserer, le 12 novembre 1907, école publique de Pont-Salomon

(extrait de son cahier du jour).

 

Monica Wasserer

Monica Wasserer

ARCHIVES DE L'ASSOCIATION :

Composition française de Monica Wasserer, le 12 novembre 1907, école publique de Pont-Salomon (extrait de son cahier du jour).

Sujet : "Décrire votre village un matin d'automne".

"Ce matin, vers six heures, j'allais pour admirer mon village, me placer sur la route de Saint-Ferréol. Le temps était un peu froid, une brume épaisse pesait dans l'air, l'haleine s'élevait en spirale dans le ciel comme une petite fumée. Mais au coup de sept heures, le soleil apparut, déchirant la brume; il était rayonnant, un peu pâle, mais gai tout de même. Le brouillard vaporeux, maintenant doré, était plus léger, plus transparent; tout à coup, plus rien, il avait disparu comme un rideau levé sans bruit. Le panorama qui s'étendait devant mas yeux était riant et pittoresque.
Là-bas, bien loin, si loin qu'on le distinguait à peine, se dessinait, en contours indécis et brumeux, le village du Pont encore endormi. Dans la vallée, au pied de la montagne, des toits rouges pointaient gaiment : c'était petit Chabanne. Des troupeaux, conduits par un berger, paissaient et folâtraient dans la prairie; et, en dirigeant mes regards devant moi, j'apercevais le village du grand Chabanne, perché sur la colline, dominant les alentours comme d'anciens châteaux forts. Dans la gorge étroite de la Semène, je vis une longue file de cheminées fumant toutes à qui mieux mieux, je reconnus alors la Caserne. Et sur la place, se dressant silentieusement et austère, l'église paraissait indifférente à tout. Plus près, vers l'ouest, et au pied de la montagne, le Foultier se dorait sous ce soleil caressant. Là-bas, dans le fond, l'Alliance, mon village, se baignait dans la lumière. Il se dessinait dans un cadre admirable. D'abord la montagne qui s'étendait à mes pieds. Les pins et les sapins qui dévalaient la pente restaient silencieux et insensibles. Tranchant sur ce vert sombre, des érables aux feuilles rouges sang, des frênes et des acacias au feuillage vert pâle, des chênes aux feuilles cuivrées dressaient vers moi leur dôme dégarni, et, surplombant la rivière, des pans de roche grisâtres et moussus. Au pied de la montagne, la verte Semène coulait lentement, sautant de cailloux en cailloux, écumante et sinueuse. Puis, sur un même plan, j'aperçus le grand pré. Qu'il était beau! Le gazon s'étendait tendre et vert, un troupeau de vaches y paissait; mais par places, le sol était couvert de feuilles mortes, rouges et jaunes. L'allée bordée de platanes, était admirable : la cime des platanes plus fournie en feuilles d'or, formait un feston gracieux estompé d'une vague couleur mauve. Et là, entre cette avenue sablée et la route, le bassin déroulait ses eaux, comme un long ruban d'argent. Au dessus de la route, une masse sombre de pins et de sapins, coupée par quelques feuillages vieil or et rouges, s'arrondissait en massif vers le ciel; c'était admirable, c'était pitoresque. Plus loin, se profilant sur un ciel pur, des sapins dégringolaient à pic sur une lande de fougères et de genêts jaunis. Puis, au pied de cette jachère, dans une gorge étroite, la Fraque se mirait dans les eaux claires de la Semène, et, là-bas, bien loin, la Méane et la Roche s'égayaient à ce jour de soleil. Dans ce nid admirable l'Alliance était heureuse. Ses maisons, quoique noires, brilaient au soleil, la fumée de l'usine mêlée à la fumée bleue des ménages montait en spirales vers le ciel. Les jardins des patrons étaient d'un vert jaune, les arbres fruitiers, presque dénudés de leurs feuilles, offraient aux regards des couleurs variées et reposantes. La serre, où se concentraient les rayons du soleil, était comme incendiée. C'était une poésie vivante. Je semblais planer dans une atmosphère de paix et de bonheur d'où je percevais les moindres bruits, vagues et indéfinissables."


Monica Wasserer (qui s'écrit Wasser dans son cahier d'écolier du 10 novembre 1902, un moyen sans doute de franciser son patronyme), est née le 23 septembre 1891 à l'Alliance de François Wasserer, platineur de fauçilles. Elle est la petite fille d'un immigré autrichien, Jean Wasserer, né en 1812 à Udernes dans le Tyrol, lui même releveur de faux en 1870 à l'usine de Pont-Salomon. Elle a donc 16 ans lorsqu'elle écrit cette rédaction (l'école publique menait alors les enfants jusqu'au brevet).
Monica Wasserer a suivi sa scolarité dans l'école qui se trouvait dans les sous-sols de la Caserne, le groupe scolaire actuel n'ayant été inauguré que le 1er mai 1916. Les archives du musée abritent 59 de ses cahiers, couvrant les années 1902 à 1908.